Certains secteurs d’activité demeurent encore largement masculins, malgré les souhaits des recruteurs d’attirer des collaboratrices. Comment faire pour féminiser vos équipes ?

quelles stratégie pour l'égalité hommes femmes au travail

« ThinkR cherche une consultante, développeuse et formatrice ». Voilà le titre de l’annonce qui a permis à cette entreprise, spécialisée en langage de programmation R, de recruter ses deux dernières collaboratrices. Un intitulé de poste au féminin, illégal, mais totalement assumé par la directrice générale, Diane Beldame : « Je sais que ce choix peut être considéré comme une discrimination à l’embauche, punie de trois ans de prison et d’une amende de 45 000€, mais il fallait qu’on provoque la mixité. Au moment du recrutement, nous étions neuf, dont trois femmes, mais seule une avait les mains dans le code. Embaucher une femme était un souhait de l’équipe et une intention de l’entreprise pour passer le cap des 10 collaboratrices avec un équilibre plus satisfaisant. Nous aurions pu publier une offre mixte mais cela aurait été une perte de temps, une démarche irrespectueuse pour nos candidats hommes et nous aurions eu moins de candidatures féminines. »

La discrimination positive dans le recrutement : pourquoi ça marche ?

Pourquoi cette annonce non mixte a-t-elle encouragé davantage de femmes à postuler chez ThinkR ? « Les deux femmes que nous avons recrutées nous ont confié qu’elles n’auraient pas postulé si l’annonce avait été mixte, car elles auraient pensé que le job était inaccessible techniquement parce qu’elles ne cochaient pas toutes les cases, témoigne Diane Beldame. En voyant que cette offre d’emploi leur était dédiée et qu’on proposait de les former, les candidates se sont senties en sécurité et attendues par l’entreprise. »

Une solution transitoire mais nécessaire ?

Si la discrimination positive est efficace pour embaucher des femmes, est-elle pour autant un passage obligé ? Oui, pour Fanny Dufour, fondatrice du programme de formation Les Nouvelles Oratrices : « On entend que les inégalités hommes-femmes se réduisent mais, une étude des Glorieuses publiée en novembre 2021, montre qu’au rythme actuel, il faudra attendre l’année 2234 pour que les femmes soient autant rémunérées que les hommes. Donc, oui, les choses changent mais tellement lentement qu’il faut des actions volontaristes de l’Etat, des entreprises, des changements de mentalité des parents, de l’école et du monde du travail pour accélérer le mouvement ! Et tout ne va pas dans le bons sens : la carence de femmes dans le secteur des sciences et du numérique va sans doute perdurer car, depuis la réforme du bac, on dénombre 10% de moins de filles dans les filières techniques et scientifiques. Un vrai retour en arrière ! »

« La discrimination positive est un mécanisme transitoire pour favoriser l’accession des femmes et des minorités, au sens large, à tous les métiers. Donc, tant qu’on n’a pas atteint l’égalité en entreprise, il faut imposer des quotas, des règles, des normes, pour combler ce fossé, complète Manon Gayet, fondatrice de l’agence Pawa Coaching. Pour paraphraser l’auteure Lucile Quillet : ‘’Pourquoi les femmes feraient-elles 50-50 quand la société ne le fait pas pour elles ? Pourquoi ne devraient-elles pas favoriser les femmes et les minorités, alors que la société rechigne à faire un pas vers elles ?’’ »

Rédiger des offres d’emploi plus inclusives

Si vous n’êtes pas convaincus par l’idée de rédiger vos offres d’emploi au féminin, vous pouvez opter pour d’autres stratégies pour rendre vos annonces plus inclusives. « Dans son livre Les Règles du Jeu, Clara Moley dresse le constat que la plupart des femmes attendent d’avoir 100% des compétences requises dans une offre d’emploi pour postuler, alors que les hommes se contentent d’avoir coché 60 ou 65% des cases », explique Manon Gayet. Plutôt que de dresser une liste exhaustive des compétences techniques recherchées, la coach invite les recruteurs à mettre davantage l’accent « sur le supplément d’âme, cette compétence humaine, cette expérience originale qui peut faire la différence » : « Vous pouvez indiquer, par exemple sur votre annonce :’’expérience en association appréciée’’. Et préciser que c’est surtout le contact avec le candidat, la part de relationnel qui primera dans le choix du recruteur ! ».

« Les femmes sont plus sujettes aux problèmes de confiance en soi et de manque de légitimité que leurs collègues masculins, constate la fondatrice des Nouvelles Oratrices. Dès l’école, on les éduque à développer des compétences relationnelles : écouter l’autre, être attentif à l’autre. D’où le développement d’un syndrome de la bonne élève : qu’est-ce qu’on attend de moi et en quoi vais-je pouvoir répondre à ce besoin ? A l’inverse, on renforce les qualités intrinsèques des hommes : on les incite, depuis qu’ils sont enfants, à être courageux, audacieux, à prendre des risques, à s’affirmer. Pour encourager les femmes dans votre offre d’emploi, vous pouvez les inviter à postuler même si elles n’ont pas toutes les compétences listées en expliquant pourquoi leur profil correspond au poste. »

Fanny Dufour conseille également aux recruteurs d’indiquer une fourchette de salaire dans l’offre d’emploi : « C’est plus équitable : l’entreprise se place dans une démarche gagnant-gagnant et non dans un rapport de force. Les femmes négocient moins leurs salaires d’entrée de jeu, elles auront tendance à penser que la rémunération proposée par le recruteur correspond à ce qu’elles valent. Un homme se dira plus facilement : j’ai besoin d’un salaire plus élevé donc je vais aller le chercher ! »

Valoriser les parcours atypiques lors de l’entretien d’embauche

L’entretien d’embauche est également une étape qui peut se révéler décisive dans le choix d’une femme de rejoindre votre entreprise ou non. « Il faut en finir avec la remarque ‘’vous avez un trou dans votre CV’’ ! On sait que la carrière des femmes est souvent plus morcelée que celle des hommes, notamment lorsqu’elles ont des enfants, développe Manon Gayet. Plutôt que de les culpabiliser, creusez un autre élément important de leur CV, un investissement associatif, un projet entrepreneurial, un voyage, autant d’expériences qui les ont enrichies et sur lesquelles elles auront certainement beaucoup de choses à raconter. Cette porte d’entrée peut révéler la curiosité, l’ouverture d’esprit, la polyvalence de certaines candidates. »

Avoir conscience des biais de recrutement (pour mieux les contourner)

La posture du recruteur et/ou du manager qui mènent l’entretien d’embauche doit, elle aussi, être questionnée, notamment par le biais d’actions de sensibilisation au sexisme ordinaire : « Je me souviendrais toujours de mon premier entretien d’embauche : j’avais 22 ans, le recruteur avait l’âge de mon père et il a abordé le sujet de la maternité entre deux portes, à la fin de l’entretien, alors que c’est parfaitement illégal. Je pense qu’on ne pose jamais cette question à un homme :’’Et sinon, vous avez prévu d’avoir des enfants bientôt ?’’ », raconte la fondatrice de Pawa coaching.

Fanny Dufour constate, quant à elle, que certaines soft skills sont interprétées diversement par les recruteurs en fonction du genre du candidat : « D’une femme douce, on pensera peut-être qu’elle n’aura peut-être pas la poigne nécessaire pour diriger une équipe, alors qu’un homme doux sera valorisé comme quelqu’un de posé. »

Il faut également se méfier de l’effet de miroir qui fait qu’un homme aura plus envie d’embaucher et de recruter un homme, de préférence qui a fait les mêmes études que lui, selon Diane Beldame : « C’est confortable et rassurant de recruter des profils qui viennent des mêmes écoles que nous, qui nous ressemblent et qui pensent comme nous. Mais, en faisant cela, on se prive d’une grande richesse, on n’apporte aucune diversité à l’entreprise. Recruter est, certes, un risque mais c’est surtout une énorme opportunité ! » Pour limiter ces biais, la directrice générale de ThinkR préconise de privilégier le recrutement par des paires, d’autres femmes, si possible au même poste que celui convoité.

Même si les femmes qui recrutent ne sont pas exemptes de stéréotypes, comme le fait remarquer Manon Gayet : « Malheureusement, certaines femmes en position de pouvoir adoptent ces travers masculins pour exercer ce leadership et se fondre dans une culture viriliste d’entreprise. Elles se travestissent, reprennent les codes masculins, des blagues ou remarques sexistes. Pour mettre fin à ces comportements, l’exemple doit venir du plus haut niveau de l’entreprise. »

Faire de l’égalité professionnelle un sujet de marque employeur

De manière plus générale, pour se rendre plus attractives aux yeux des femmes, les entreprises doivent intégrer la question de l’égalité professionnelle à leur stratégie marque employeur : « Elles doivent d’abord se poser la question : pourquoi veut-on avoir plus de femmes dans nos équipes ? Est-ce pour faire comme tout le monde ? Pour avoir un bon indice d’égalité hommes-femmes ? Parce que les femmes et les autres minorités ont quelque chose à apporter à notre mission, à notre produit ? Cette prise de conscience doit être précoce sinon le retard est difficile à rattraper ! » souligne Diane Beldame.

Comment aller ensuite au-delà des déclarations de bonnes intentions sur son site carrière ? Fanny Dufour suggère de communiquer sur des actions concrètes, à travers la mise en avant de son index d’égalité professionnelle ou de réseaux féminins de mentorat ou de coaching internes : « Si j’ai choisi de monter un programme de formation en non-mixité, c’est que je pense qu’il est important pour les femmes d’avoir un espace de parole exempt de regards masculins jugeant, qui conduisent à l’auto-sabotage des femmes. On en vient plus vite à parler de certains sujets quand on n’est qu’entre femmes, comme ceux liés au corps : la grossesse, les règles… Ces cercles de sororité peuvent exister au sein de l’entreprise. »

Autre facteur d’attractivité pour les candidates : l’assurance d’être accueillies dans un environnement de travail sain et sécurisant. « L’informatique a été mixte jusque dans les années 1980 et, dès que c’est devenu lucratif, on en a chassé les femmes. C’est devenu le fief des garçons, un milieu souvent toxique, sexiste, pas safe, constate la directrice générale de ThinkR. Et maintenant, on demande aux femmes de faire un effort et d’oser postuler ! Encore une injonction qui s’ajoute à longue liste de ce qu’on exige d’elles. Les femmes oseront plus si les recruteurs et les recruteuses envoient des signaux forts. Ce peut être, par exemple, un code de conduite, qui explique que certains comportements sexistes sont intolérables et sanctionnables. Qu’une femme puisse avoir la réponse à la question : ‘’qu’est-ce qui se passe si quelqu’un fait une blague grasse sur ma tenue ?’’ montre que l’employeur est conscient que ces paroles existent et pense que ce n’est ni une lubie ni anodin. »

Enfin, comme le rappelle Diane Beldame, la culture d’égalité professionnelle passe aussi par la mise en place d’une politique RH qui vise à favoriser les équilibres vie pro/vie perso, quel que soit son genre, en incitant, entre autres, davantage de pères à prendre la totalité de leur congé paternité, ou en proposant des avantages salariaux sous forme de services à la personne pour soulager les femmes des tâches domestiques qui restent encore, en majorité, assumées par elles.

source : helloworkplace.fr